• Génèse de l'Aikido

     LA GENESE DE L’AÏKIDÔ

     

                O Senseï, était un paradoxe à lui tout seul. En effet, né dans les débuts de l’époque moderne japonaise, dominé par la rationalité et la technique, il fut en même temps imprégné de la culture la plus traditionnelle et la plus primitive du Japon ancestral où la magie et le mysticisme le plus fervent se conjuguent. Cet univers géographique et culturel de ses premières années se retrouve transposé dans l’univers symbolique de sa maturité. Le rapport mystique aux sons, les pratiques rituelles, la fréquentation des divinités de la nature qui donne à l’Aïkidô de Ueshiba sa tonalité si singulière, tout est déjà présent dès l’origine et reconquis au terme de sa quête spirituelle.

             Ueshiba, décidément tout en nuances et en contrastes, fut à la fois très préoccupé par les questions sociales et l’action dans le monde, du fait de l’influence de son père, homme politique et homme d’affaire, et aussi très tourné vers la vie contemplative, intellectuelle et religieuse, du fait de l’influence de sa mère, femme très pieuse et férue de littérature. Dans la première partie de sa vie domine le versant solaire de sa personnalité avec sa tentative réussie de développement d’une affaire commerciale et avec, en particulier, l’expérience d’Hokkaïdô où il dirigea aussi avec succés, en dépit des difficultés, limplantation d’une colonie. Dans la dernière partie de sa vie, c’est en revanche le versant lunaire qui s’impose au travers de sa retraite à la campagne à Iwama où il se livre à la contemplation et à la pratique solitaire, désengagé de toute responsabilité à l’égard de l’oragnisation de l’Aïkidô.

              Enfin, il fut à la fois un guerrier extrèmement endurci, nationaliste et vibrant patriote, et un homme de paix à la recherche de l’harmonie universelle. Ueshiba découvrit les arts martiaux à l’instigation de son père qui voulait ainsi l’aider à surmonter une constitution fragile. Il comprit vraiment la nécessité du combat quand il fut témoin d’une agression subie par son père de la part d’adversaires politiques. Il ne cessa dès lors de cultiver son potentiel physique et de développer sa maîtrise du combat à tel point qu’il entreprit, poussé par des sentiments patriotiques, une carrière militaire durant sa jeunesse. Mais très vite cette ardeur et cette efficacité guerrière devinrent  inséparable d’une communion avec les forces de l’univers qui l’incita à donner toute sa valeure à l’amour cosmique.

               Pour résumé, dès son plus jeune âge, Morihei UESHIBA  a reçu une éducation qui devait poser les bases de son destin :

    - Milieu familial campagnard et proche de la nature.

    - Formation morale et scolaire assurée à la fois par des prête shinto et bouddhistes.

    - Formation physique et martiale par son père.

               

             Par la suite, il devient l’élève des plus grands Maîtres d’arme de l’époque:

     

     - TOZAWA Tokusaburo Senseï de l’école Kito Ryu.

     

    KITO RYU

     

    Ce Ryu a été créé au tout début de l’ère Edo par un samouraï du nom de Ibaragi Sensaï qui été lui-même disciple du Shinkage Ryu. Le principe qui animait cette école était de préparer des combattants à faire face à toutes les situations durant les combats sur les champs de bataille. C’est pourquoi, l’art du sabre , du Bô et d’autres armes considérées par certains comme mineures, tel le Kusarigama étaient incorporées dans le contenu de ce Ryu. Les successeurs de Sensaï ont contribués largement à modifier l’enseignement du Kito Ryu, en mettant l’accent seulement sur les techniques de combat à mains nues, le Wa Jutsu au détriment de l’étude de l’art du sabre par exemple.

    Le successeur direct de Sensaï, le samouraï Fukuno Shichiroemon, bénéficia de l’enseignement d’un chinois, Chin Gempin, et créa le Fukuno Ryu. Son disciple, le 3ème Maître du Kito Ryu, fonda, à l’exemple de son senseï, le Teishin Ryu dans lequel seul le Wa Jutsu était enseigné. Le 5ème successeur du Kito Ryu, Terada Kan’emon, finit par créer un style qui, lui, n’avait plus rien à voir avec le Kito Ryu, en prônant la liberté totale et le détachement de la forme des techniques, laissant à chacun le soin d’improviser selon son humeur. Ce qui n’alla pas sans un affadissement de l’efficacité. Lorsqu’il se retira de sa position de Maître du Kito Ryu, il créa enfin une dernière mouture à ce Ryu qu’il nomma le « Judo ». Contrairement à la légende, ce ne fut pas Kano qui inventa ce terme. Il se contenta de l’emprunter à Terada Kan’emon.

      

    - NAKAÏ Masakatsu Senseï de l’école Goto-Ha Yagyu Shinkage Ryu.

     

    GOTO-HA YAGYU SHINKAGE RYU

      

    Le Shinkage Ryu a été créé dans la première moitié du 16 ème siècle par Kumiizumi Ise No Kami (1508 - 1578), lui même fut disciple du Katori Shinto Ryu et du Kage Ryu. Technicien formidable et combattant redoutable, il put, lors de son errance dans tout le Japon en tant que Musha Shugyo, amélioré l’enseignement du Kage Ryu pour fonder sa propre méthode.

    En 1566, il prit la décision de tester en combat Yagyu Tajima No Kami et à l’issu du duel, il le choisit comme successeur. Il lui transmit les principes secrets du Shinkage Ryu. Yagyu Tajima No Kami (1527 - 1606) devint ainsi le 2ème Maître de ce Ryu, après avoir été lui aussi formé par le Katori Shinto Ryu. Grâce à son génie et ayant su profiter de la turbulence sociale de cette époque surnommée « Sengokaï Jitaï - le temps des guerres » pour améliorer encore plus les techniques de ce Ryu, Yagyu Tajima qui était Maître d’arme du dernier Shogun Ashikaga, Yoshioki, amena le Shinkage Ryu à la perfection technique et lui donna une renommée incomparable. A la période Edo, période de paix, les changements sociaux permirebt à l’école Shinkage de mieux définir son contenu philosophique. Les liens d’amitié qu’entretenait Yagyu Tajima avec le moine zen Takuan ne furent sans doute pas étranger à l’influence du Zen dans la pratique de cette école, qui mit l’accent sur le principe de Mumen (pas penser) et de Muso (non-pensée). Tout l’enseignement de cette école reflète ce principe et prône que si l’habileté technique doit être acquise par un entrainement assidu, seule la pratique spirituelle peut permettre sa libre expression, c’est à dire sans effort délibéré ni pensée. L’aspect original de ce Ryu était de délivrer aux disciples un diplôme sur lequel on ne lisait q’un simple cercle. Les secrets du Shinkage Ryu ont été consigné dans un poème « les Eaux de la Rivière de l’Ouest » d’accès difficile à cause de nombreuses références métaphysiques.

     

    - TAKEDA Sokaku Senseï de l’école Daïto Ryu.

     

    DAÏTO RYU

     

    Cette école fut créée par l’un des descendants de la famille MINAMOTO, le Prince Sadazumi (874 - 916). Il fut considéré comme le créateur des première formes d’AIKI JUTSU (qui sont peut-être aussi à l’origine du Sumo). De génération en génération, les techniques parvinrent à Minamoto Yoshimitsu. Le second fils de Yoshimitsu, Yoshikiyo partit s’installer à Takeda dont il prit le nom. En 1574, Takeda Kunitsugu Minamoto partit pour la province de Aïzu où il enseigna la méthode de combat sous le nom d’Aïzu To Dome. En 1671, Goto Tamauemon Tadayoshi (1644 - 1736), fondateur du Daïto Ryu, rejoignit également le clan Aïzu et son enseignement se mêla à celui de l’école.

    Le Daïto Ryu comprend des techniques de Kenjutsu, de Sojutsu (lance), Kyuba (tir à l’arc à cheval, Kojutsu (art des canons), le ïaïjutsu et une sorte de Jujutsu appelé AÏKI IN YO HO. L’Aïki in yo ho est imprégné du confucianisme et de l’harmonie de l’esprit basé sur le yin-yang.

    Maître Ueshiba étudia aussi tout ce qu’il put (environ une trentaine d’écoles) tel que le HOZOIN RYU (lance), TAKENOUCHI RYU (Jujutsu), le TENSHI RYU (ken-jo-taï-jitsu).

     Par ailleurs, quelques hommes, à la personnalité hors du commun et au rayonnement extraordinaire, vont inspirer d’une façon déterminante le créateur de l’Aïkidô. Il s’agit de Kamagusu Minakata, de Sokaku Takeda et Onisaburo Deguchi.

    Chacun dee ces trois hommes à approté quelque chose de spécifique à l’Aïkidô que nous connaissons aujourd’hui. Ainsi, entouré de ces « visionnaires » à l’esprit indépendant, le génie créateur de maître Ueshiba pouvait se déployer.

     

    KUMAGUSU MINAKATA (1867 - 1941)

      

    Né dans la ville de Wakayama, Kumagusu avait un besoin démesuré d’apprendre. Lorsqu’il n’était pas plongé dans la lecture, il parcourait la montagne à la recherche d’insectes, de plantes ou de spécimens minéraux. En 1886, Il arrête le cycle préparatoire de l’université de Tokyo et se rend aux U.S.A où il étudia principalement au collège agricole d’Etat de Lansing dans le Michigan. En 1904, il s’installa définitivement à Tanabe pour cétablir la première université populaire. Il prônait dans ses discours la compatibilté fondamentale et l’interrelation entre tous les peuple, de l’Orient à l’Occident. Il était aussi un fervent défenseur de l’environnement.

    Kumagusu Minakata emplit la tête de Morihei d’idéaux extraordinaires et des nombreux challenges que le monde offre à ceux qui ont le courage de les affronter. Il lui enseigna aussi à refuser l’injustice et à protéger l’environnement des pillages systématiques des ressources naturelles. Kumagusu fut donc l’inspirateur et le déclencheur de la vocation du créateur de l’Aïkidô.


    SOKAKU TAKEDA (1859 - 1943)


    Né à Oike dans l’actuelle préfecture de Fukushima, région connue pour la vaillance de ses samouraï. Sokaku Takeda appartenait au clan des Aïzu et apprit le maniement du sabre et de la lance, le Jujutsu et le Sumo dès son plus jeune âge. Il ne savait ni lire ni écrire. Il transforma le Oshikiuchi en un art de jujutsu à partir de ses connaissances dans l’art du sabre et appellera son art le Daïto Ryu Aïki Jujutsu. Il mena toute son existence une vie errante. Sa réputation lui ouvrit les portes de la police pour former les hommes et régler les affaires délicates. Il enseigna principalement au nord du Japon et décéda en 1943 à Amori.

    Takeda Sokaku, « l’invincible guerrier ou la discipline du corps », rencontra Morihei Ueshiba en 1915 à Engaru dans l’auberge où il enseignait. Morihei l’invita chez lui à Ayabe, lui construisit un dojo et fut très heureux d’apprendre la technique de Takeda Sokaku, mais la personnalité de ce dernier ne pouvait satisfaire la soif de spiritualité qui existait en lui depuis son enfance. Parallèlement, les exigences de son maître commençait à lui peser. Takeda Sokaku quitta Ayabe en 1922 et délivra à Morihei un certificat de maître du Daïto Ryu. Les rencontres s’espacèrent et en 1936 la rupture fut définitive car Takeda Sokaku déclara être le seul et unique représentant du Daïto Ryu pour ce qui concernait la délivrance des menkyo et le plus apte à enseigner cet art. c’est ainsi qu’ O Senseï appela son art Aïkibudo. Les relations entre les 2 hommes furent passionnées et laissa des trace parmi les élèves, mais il n’en reste pas moins que le Daïto Ryu influença fortement l’Aïkidô et plus particulièrement dans les années d’après-guerre.

     

    ONISABURO DEGUCHI (1871 - 1947)

     

    De son vrai nom Kisaburo Deguchi, il naquit en 1871 dans la ville de Kameoka. Il appartenait à une famille de fermiers. De santé fragile, Kisaburo était un enfant extrèmement sensible et nerveux. Sa grand-mère se chargea de son éducation et souhaita l’orienter vers une carrière de lettres. Son nom était Uno, elle était la fille de Koko Nakayama, l’auteur du livre « Nihon Kotodama Gaku » qui veut dire « Etude du Kotodama japonais » . Le Kotodama est l’étude du pouvoir des sons que Kisaburo systématisera plus tard et qui influencera très profondément Ueshiba. Notons simplement que cette technique était déjà bien ancrée chez Kisaburo et ce dès son enfance.

    A 27 ans, à la mort de son père, il décida d’aller dans les montagnes Takakura et s’enferma dans une grotte pour un long jeûne. Sept jours plus tard, affaibli, il eut une révélation, celle, comme il le dira plus tard d’avoir été atteint « de sensation et de compréhension de l’esprit saint ». Ce long jeûne l’affecta et il en souffrit. En effet, il en fut paralysé pendant plusieurs jours. Après une période de récupération, il décida de voyager en se dirigeant vers l’Est et au cours de cette errance, il rencontra la maître Nagasawa à Shizuoka. Il était le disciple d’un fameux lettré de l’école Atsutané Hirata et une autorité dans le Chikonkishin, une école de pensée qui prônait la nécessité de « calmer son âme pour retrouver Dieu ». C’était aussi vers cette époque qu’il rencontra Nao Deguchi, un homme qui marqua de sa contribution l’histoire de la religion japonaise. En 1899, il alla s’installer chez ce maître et l’année suivante, il épousa sa fille, Sumi, âgée de 16 ans. Cette femme était le Kyoshu, « Chef de la Foi ». C’est à cette époque que son nom changea et qu’il devint connu plus tard sous le nom de Onisaburo Deguchi. Onisaburo bénéficiait d’une brillante intelligence et était par excellence un artiste. Sa production littéraire est considérable. Il dicta plus de six cent milles poèmes et plusieurs livres incroyables. Il aimait la musique et composait des cantiques, ballades, valses et tangos. Il excellait dans l’art de la calligraphie et de la poterie.

    Entre 1919 et 1921, l’âge d’or de la religion « Omotokyo », les adeptes se comptaient par millions. Morihei, alors installé à Shirataki (Hokkaido), entendit parlé de ce gourou appelé Onisaburo Deguchi et quitta son village pour se rendre à Ayabe, le fief de la religion Omotokyo, malgré des nouvelles alarmantes concernant la maladie de son père. Morihei fut immédiatement séduit par ce personnage marginal àl’esprit aventureux et à la vie si trépidante. Il resta environ 8 ans auprès du gourou qui lui enseigna la doctrine de l’Omotokyo et aux méditations Chinkonkishin.

    Les particularismes de ces 3 personnages se retrouvent dans les différents dimensions de l’Aïkidô :

     

     - Universalisme de Kamagusu;

     - Technique martiale de Sokaku.

     - Illumination mystique d’Onisaburo.

     

    Sans ces rencontres fondamentales toutes liées les unes aux autres par le fil d’or d’un destin exceptionnel déjà en germe dans les conditions même de la naissance de Ueshiba, l’Aïkidô n’aurait-il sans doutepas existé.

    On rapproche bien souvent l’Aïkidô et le Judô. C’est à la fois exact et inexact. Si leurs techniques et leurs principes mécaniques sont très semblables (utilisation de l’énergie de l’autre, utilisation maximale de son énergie), le judô a plutôt une vocation d’éducation civique et humaine, lié directement à la personnalité de son fondateur, Jogorô Kano, alors que l’Aïkidô considère essentiellement l’individu comme un élément d’un ensemble plus vaste : l’Univers. Le Judô se situe dans un ensemble concret, le Monde, alors que l’Aïkidô se situe dans un ensemble infini et immatériel, le Tout. C’est pourquoi, des 3 trois mentors de Morihei, Onisaburo fut, sans doute, le plus déterminant.